sexta-feira, 9 de outubro de 2009

A literatura em abismos (Paris) em dia de Nóbél à là page

Notre Dame, fotogramas de "Karaoke" de Dennis Potter

Le Gouffre

Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant.
— Hélas! tout est abîme, — action, désir, rêve,
Parole! Et sur mon poil qui tout droit se relève
Mainte fois de la Peur je sens passer le vent.

En haut, en bas, partout, la profondeur, la grève,
Le silence, l'espace affreux et captivant...
Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant
Dessine un cauchemar multiforme et sans trêve.

J'ai peur du sommeil comme on a peur d'un grand trou,
Tout plein de vague horreur, menant on ne sait où;
Je ne vois qu'infini par toutes les fenêtres,

Et mon esprit, toujours du vertige hanté,
Jalouse du néant l'insensibilité.
— Ah! ne jamais sortir des Nombres et des Êtres!

Charles Baudelaire


- Voilà !… Blaise Pascal !… vous vous souvenez de Blaise
Pascal ?…
- Oui !… oui !
- La révélation qu'il a eue sur le Pont de Neuilly?… ses chevaux
emballés ?… son carrosse versé ?… une roue emportée ?… qu'il a bien
failli boire la goutte ?
- Ah, oui !… ah, oui
- Vous vous souvenez ? »

Il était assis… il tenait plus… il se relevait… il se retripotait
l’entrejambe… je l’empêchais d'aller !… mais non !… mais non !
« Allez-y !
Ah, oui ! Blaise Pascal ! »
Il se souvenait
« Celui des Pensées ?
- Exactement ! exactement, Colonel ! celui [98] qui voyait plus
qu'un gouffre ! toujours un gouffre !… depuis ce jour-là !… du. coup, de
la frayeur !… le gouffre à sa droite !
- Oui, à sa droite ! »
Il répétait tous mes mots…
« Allez pisser, Colonel !
- Oh non ! oh non ! non !
- Bon ! comme vous voulez ! le gouffre à sa droite !

- A sa droite !
- Et puis en l’air, Colonel ! en l’air après ! Les espaces infinis
m'effraient ! de Pascal aussi, Colonel ! une sacrée pensée de Pascal !…
vous vous souvenez ?
- Oui ! oui ! oui !
– Ça y avait transformé la vie ce terrible accident du pont !… de
fond en comble ! libéré le génie ! son génie !
- Ah?
- Oui, Colonel !… moi ! regardez-moi, Colonel ! je suis un type
dans le genre de Pascal…
- Pas possible ?
- Si ! si !… je vous le dis !… nom de Dieu ! regardez-moi ! »
...

j'ai éprouvé moi
aussi !… exactement !… ou à peu près… le même effroi que Pascal !… le
sentiment du gouffre !… mais moi c’est pas au pont de Neuilly… non !
CÉLINE : Entretiens avec le Professeur Y
ça m'est arrivé au métro… devant les escaliers du métro… du Nord-
Sud !… vous entendez Colonel ?… du Nord-Sud !… la révélation de mon
génie, je la dois à la station « Pigalle » !…
- Comment ?… comment ?… »
...

« Donc, Colonel, vous m’écoutez ! je vous disais qu'en ce tempslà…
non ! je vous l’ai pas dit !… je vous le dis !… je menais une vie
agitée… j'avoue… assez agitée… je fonçais d'un bout à l'autre de Paris,
pour un oui… un non… à pied, en métro, en voiture… oui !… voilà
comme j'étais… pour une dame qui me voulait du bien… pour une
dame qui m'en voulait pas… et pour des raisons plus sérieuses… ah,
oui !… plus sérieuses !… je consultais ici et là… en particulier, je devais
me rendre à Issy presque chaque matin, pour une consultation
d'usine… et je demeurais à Montmartre !… vous vous rendez compte !…
chaque matin !… Pigalle-Issy ! l'autobus ?… une fois, deux fois… ça
va !… mais tous les jours ? ça fait réfléchir : tous les jours ! je vous
assure !… la meilleure façon ?… métro ? vélo ? autobus ?… je prenais le
métro ?… j'y allais en vélo ?… ou à griffe ?… oh, là que j'ai hésité !…
tergiversé… rerenoncé… le noir métro ? ce gouffre qui pue, sale et
pratique ?… le grand avaloir des fatigués ?… ou je restais [101] dehors ?
je bagottais ? be not to be ?… l’autobus ?… l’autobus ?… cet angoissé
monstre grelottant hoquetant… bégayeur à chaque carrefour ?… qui
perd des heures à être poli… à pas écraser la rombière… à attendre que
dessous son pare-choc se dépêtre le triporteur venu s'y foutre !… père
de famille de six enfants… ou je fonçais à pied ?… par les rues ? une ! !
deux ! !… Issy à pied ? sportif de sportif ? c'était le dilemme ! les
profondeurs ou la surface? ô choix d'Infinis ! la surface est pleine
d'intérêt… tous les trucs !… tout le Cinéma… tous les plaisirs du
Cinéma !… pensez !… pensez !… les minois des dames, les postères des
dames, et toute l'animation autour ! les messieurs qui piaffent !…
l’éclaboussernent des vanités !… la concentration des boutiques !… les
bariolages, les étalages !… milliards à gogo !… le Paradis en
« étiquettes » !… à tant l’objet ! à tant le kilo !… femmes ! parfums !
comestibles de luxe ! les convoitises !… « Mille et trente-six Nuits »
chaque vitrine !… mais, attention ! ensorcellures ! vous voilà film…
transformé film ! film vous-même ! et un film c’est que des [102]
anicroches ! de bout en bout !… qu’anicroches !… pertes de temps !
carambolages !… cafouillades !… mélimélo !… flics, vélos, croisements,
déviations, sens, contre-sens !… stagnation !… zut ! Boileau s'y amusait
encore… il serait écrasé de nos jours… foutre des rimes !… le Pascal,
dans une « deux chevaux », je voudrais le voir un peu du Printemps à la
rue Taitbout !… c’est pas un gouffre qu'il aurait peur !… vingt abîmes !
la Surface est plus fréquentable !… la vérité !… voilà !… alors ?… j'hésite
pas moi !… c’est mon génie ! le coup de mon génie ! pas trente-six
façons !… j'embarque tout mon monde dans le métro, pardon !… et je
fonce avec : j'emmène tout le monde !… de gré ou de force !… avec
moi !… le métro émotif, le mien ! sans tous les inconvénients, les
encombrements ! dans un rêve !… jamais le moindre arrêt nulle part !
non ! au but ! au but ! direct ! dans l’émotion !… par l’émotion ! rien
que le but : en pleine émotion… bout en bout !
- Comment ?… comment !
- Grâce à mes rails profilés ! mon style profilé !
- Oui !… oui !…
- Exprès Profilés !… spécial ! je les lui fausse ses rails au métro,
moi ! j'avoue !… ses rails rigides !… je leur en fous un coup !… il en faut
plus !… ses phrases bien filées… il en faut plus !… son style, nous
dirons !… je les lui fausse d'une certaine façon, que les voyageurs sont
dans le rêve… qu'ils s'aperçoivent pas… le charme, la magie, Colonel ! la
violence aussi !… j'avoue !… tous les voyageurs enfournés, bouclés,
double-tour !… tous dans ma rame émotive !… pas de chichis !… je
tolère pas de chichis ! pas question qu'ils échappent… non ! non !
– Vous voyez ça ! vous voyez ça !
- Et toute la Surface avec moi hein ? toute la Surface !
embarquée ! amalgamée dans mon métro ! tous les ingrédients de la
Surface ! toutes les distractions de la Surface ! de vive force ! je lui
laisse tien à la Surface !… je lui rafle tout !…
- Ah !… ah !
- Non, Colonel !… non, parfaitement ! tout dans mon métro
émotif !… les maisons, [104] les bonhommes, les briques, les
rombières, les petits pâtissiers, les vélos, les automobiles, les
midinettes, les flics avec ! entassés, « pilés émotifs » !… dans mon
métro émotif ! je laisse rien à la Surface !… tout dans mon transport
magique !…
- Ah?… ah ?…

- A la violence !… vous êtes le magicien ? oui ?… non ? alors que
votre charme opére !… certains lecteurs récalcitrent ? la trique,
CÉLINE : Entretiens avec le Professeur Y
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Colonel ! qui préfèrent le cinéma ? la trique !… qui préfèrent le
chromo ? la trique !… vous êtes le maître des sortilèges… vous leur
prouvez les enfermant bouclant double-tour ! vous entendez être
obéi !… le langage parlé à travers l’écrit !… votre invention ! pas
d'histoires ! « Pigalle-Issy » sans obstacle !… pas de considérations
permises ! dans l’enchantement !… vous tolérez pas d'esprits forts ! de
dialecticiens par exemple ! plus un carrefour, plus un feu jaune, plus un
flic, plus une paire de fesses à la traîne ! vous me comprenez, Colonel ?
- Oui !… oui !
- Plus un camion qui vous harponne ! [105] l'artiste que vous
êtes ! votre métro s'arrête à rien !… vous vous êtes profilé un style !
– Un style ? un style ?
– Oui, Colonel !… le style: au plus sensible des nerfs !
- C'est de l'attentat !
- Oui, je l'avoue !
- Ah, par exemple ! vous emmenez tout?
- Oui, Colonel… tout !… les immeubles de sept étages !… les
féroces grondants autobus ! je laisse rien à la Surface ! je lui laisse rien !
ni colonnes Morris, ni les demoiselles harcelantes, ni mégotiers sous les
ponts ! Non ! j'emmène tout !
- Les ponts avec ?
- Les ponts avec !
- Rien vous empêche ?…
- Non, Colonel !… à l’émotion, Colonel !… rien qu'à l’émotion !…
l’haletante émotion !
- Oui, mais… oui, mais…
- Y a pas d'« oui mais » !… j'embarque tout !… j'enfourne tout
dans ma rame !… je vous répète ! toutes les émotions dans ma [106]
rame… avec moi !… mon métro émotif prend tout mes livres prennent
tout !
- Ah, par exemple ! par exemple ! Et les étrangers ? les écrivains
étrangers ?
- Ils existent pas ! ils sont encore à déchiffrer Madame Bovary, la
scène du fiacre… et Boule de Suif !… qu'ils démarquent horriblement
mal… ils iront jamais plus loin… leur sensibilité est pas faite… et sera
jamais faite, je crains… ils vont peut-être vite en avion… mais dans les
Arts ?… qu'est-ce qu'ils trimbalent !
- Pourtant on parle d'eux !… on les traduit !…
- C’est la formidable escroquerie !… qu'on supprime leurs agences
de presse, leur fantastique publicité, leur phénoménal culot, ils
existeront plus !…
- Mais leurs lecteurs ?
- Les lecteurs français sont snobs, gogos et serviles…
ils sont
bluffés !… et ils sont contents d'être bluffés ! ils trouvent des écrivains
d'ailleurs, qu'écrivent tous comme les Delly… les voilà heureux !… et
fiers ! l’auteur le plus lu. dans tous les pays du monde, le plus [107]
traduit, dans tout l’univers : c’est Delly ! Colonel ! Delly !
- Les langues étrangères tout de même ?
- Il n'y a qu'une scule langue, Colonel, en ce monde
paracafouilleux ! une seule langue valable ! respectable ! la langue
impériale de ce monde : la nôtre !… charabias, les autres, vous
m'entendez ?… dialectes bien trop tard venus !… mal sapés, mal léchés,
arlequinades ! rauques ou. miaulants à-peu-près pour rastaquouères !
zozoteries pour clowns ! voilà, Colonel !… je sais ce que je cause ! et
j'admets pas la discussion !
- Vous êtes un esprit borné !…
- Pas borné… impérialiste, Colonel ! Comment que j'ai conquis la
Surface ! vous avez vu ? que j'ai tout saisi ? vous avez vu ? vous avez
remarqué ? tout embarqué dans mon métro !… qu'est-ce que je lui
laisse à la Surface ? la plus pire drouille du cinéma !… avec les langues
étrangères donc ! les traductions !… retraductions de nos pires navets !
qu'ils les emploient pour leurs « parlants » !… en plus de la
psychologie ! le pataquès psychologique !… toute la chierie
philosophique, toute l’horreur photographique, toute la Morgue des
fesses figées, cuisses figées, nénés opérés, nez raccourcis, et les kilos de
cils !… oui des kilos ! lourds ! gras ! rouges ! verts »
Il m'écoute pas !